Dans Réflexions

Tandis que la semaine dernière, je vous parlais de la notion de sérendipité, cette semaine, c’est à une célèbre locution latine que je m’intéresse: Carpe Diem – un petit clin d’oeil à Robin Williams, disparu cette semaine, qui a popularisé l’expression au début des années 90 en incarnant M. Keating, ce professeur pas comme les autres, dans Le Cercle des Poètes disparus.

cercle des poetes disparusJ’ai 17 ans quand sort au cinéma Le Cercle des Poètes disparus. Nous sommes en 1989. Pas d’Internet, encore moins de smartphones. L’information se propage à un rythme, disons, naturel, à cette époque. En ce temps-là, c’est dans les livres et les journaux que l’information se lit. Et les films, on va les voir au cinéma – ou en vidéo (et oui, même le DVD n’existait pas encore!). Bref, tout ça pour dire que ce jour-là, c’est dans une salle de cinéma que je découvre cette expression – en même temps que ce film merveilleux, qui m’aura appris, comme à vous, peut-être, à voir le monde autrement.

Cueille le jour

Carpe Diem, donc. L’expression, extraite d’un poème d’Horace, célèbre épicurien, se traduit par “Cueille le jour présent sans te soucier du lendemain”. Cueille le jour présent sans te soucier du lendemain…

Comme disait l’autre poète, “on n’est pas sérieux quand on a dix-sept ans“. Et je ne faisais pas exception à la règle. Comme beaucoup de jeunes de cet âge, c’est avec une insatiable curiosité et un certain sentiment d’urgence que j’avançais à travers la vie. Quand on a dix-sept ans, on essaie de donner un sens à tout ce qu’on observe, aux rencontres que l’on fait, aux choses que l’on apprend. On n’y arrive pas toujours. Quand on a dix-sept ans, on a un peu de mal à faire le tri dans ce que l’on voit/entend. On a l’exemple de nos parents, de nos proches. Faut-il faire comme eux? On recherche désespérément un exemple à imiter ou dont s’inspirer, on essaie, tant bien que mal, de décoder les règles du jeu.

Ce soir-là, M. Keating, incarné par Robin Williams, donc, me dit, de même qu’à la centaine d’autres personnes assises dans cette grande salle plongée dans le noir: oublie ce qu’on t’a appris jusqu’ici! Lève-toi! Grimpe sur le bureau et regarde ta classe de là-haut! Tu n’es pas éternel, alors profite de l’instant présent, apprends, découvre, ris, aime et surtout, vis! Carpe Diem!

Je vous parle d’un temps…

Un film sans doute caractéristique d’une époque: si aujourd’hui, on observe une sorte de lassitude générale, une résignation face (biffez la/les mention(s) inutile(s)/non désirée(s)) à la crise/aux changements climatiques/aux conflits religieux/au terrorisme/au fossé qui se creuse entre les riches et les pauvres/entre le Nord et le Sud (etc., etc., etc.), au début des années 90, on rêve d’un monde meilleur et on y croit. On y croit, quand on descend dans la rue pour manifester contre le racisme, quand on vend des badges “Touche pas à mon pote”, quand on devient membre de l’ANC, etc.

Nous sommes en 2014. Mes dix-sept ans sont loin (quoi que?). J’ai le sentiment qu’aujourd’hui – est-ce à cause des progrès de la science, de l’immédiateté des choses (besoin d’un nouveau polo/service à thé/logiciel/bouquin? Une seule adresse: Amazon! Un clic et tu seras livré le lendemain, sans même avoir besoin de sortir de chez toi), du flux d’information qui nous assaillit en permanence, de nos 654 “amis” sur Facebook dont nous croyons tout savoir ou du vieillissement de la population? – j’ai le sentiment qu’aujourd’hui, donc, les gens se sentent parfois éternels, sans s’en rendre compte, ce qui les amène bien souvent à oublier cette locution qui était dans la bouche de tous les jeunes dans les années 90: Carpe Diem!

Hédonisme ou épicurisme?

Le “Carpe Diem”, ce n’est pas une apologie de l’orgie – il ne s’agit pas, comme le prônent les hédonistes, de rechercher le plaisir et d’éviter le déplaisir à tout prix. Horace, l’auteur de la formule, était un épicurien. Les épicuriens établissent une hiérarchie dans les plaisirs – il y a les plaisirs naturels et nécessaires, les plaisirs naturels et non nécessaires, et les plaisirs non naturels et non nécessaires. Le but étant d’éviter la douleur pour atteindre l’atraxie (la tranquillité de l’âme). “Cueille le jour”, c’est profite de l’instant présent – la vie est si courte! Il n’est point question d’excès, dans l’épicurisme (l’excès n’étant pas un plaisir) – la modération joue un rôle important dans la doctrine.

En somme: définir ce que l’on attend de la vie, et profiter de chaque instant pour atteindre son/ses objectif(s). Lorsque l’on prend conscience du caractère éphémère de la vie, le parcours est sans doute facilité.

Adieu, M. Keating

L’ironie, aujourd’hui, nous vient de celui qui a incarné M. Keating au cinéma. En se donnant la mort (quelle drôle d’expression, quand on y pense: “se donner la mort”), M. Williams, sans le vouloir, nous fait un ultime pied de nez, en nous disant: “vous voyez? Je vous l’avais bien dit! Personne n’est éternel. Alors, vivez, rêvez et aimez sans regrets! Ceci n’est pas une répétition générale: c’est maintenant que ça se passe!”.

Le Cercle des Peètes disparus – Extraits choisis

C’est dans ses rêves que l’homme trouve la liberté, cela fut, est, et restera la vérité“.

On ne lit pas et on n’écrit pas de la poésie parce que ça fait joli. Nous lisons et nous écrivons de la poésie parce que nous faisons partie de la race humaine; et que cette même race foisonne de passions. La médecine, la loi, le commerce et l’industrie sont de nobles occupations, et nécessaires pour la survie de l’humanité. Mais la poésie, la beauté et la dépassement de soi, l’amour: c’est tout ce pour quoi nous vivons. Écoutez ce que dit Whitman: « Ô moi ! Ô vie !… Ces questions qui me hantent, ces cortèges sans fin d’incrédules, ces villes peuplées de fous. Quoi de bon parmi tout cela? Ô moi! Ô vie! ». Réponse : que tu es ici, que la vie existe, et l’identité. Que le spectacle continue et que tu peux y apporter ta rime. Que le spectacle continue et que tu peux y apporter ta rime… Quelle sera votre rime?

Peu importe ce qu’on pourra vous dire, les mots et les idées peuvent changer le monde.

Et ne pas, quand viendra la vieillesse, découvrir que je n’avais pas vécu.

Je partis dans les bois parce que je voulais vivre sans me hâter. Vivre intensément et sucer toute la moelle secrète de la vie.”

Je ne vis pas pour être un esclave mais le souverain de mon existence.”

 

Carpe Diem!

 

La nomade (sédentaire. Et philosophe à ses heures perdues)

 

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Commentaires
  • DaCat
    Répondre

    J’avais 14 ans. Après avoir vu le film, en cours de français, je me porte volontaire pour réciter le merveilleux poême de Ronsard. Je monte donc très fièrement sur mon bureau pour le réciter d’une traite, en y mettant tout mon coeur. J’ai réussi à avoir trois heures de colle. On ne met pas les pieds sur le bureau. Le prof n’avait pas vu le film. Mes rêves sont retombés comme un bouse.

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